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Louis Vuitton : L’invitation Au Malaise

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Aujourd’hui il ne suffit plus de toucher la tête pour convaincre le consommateur : il faut aussi toucher son cœur. Et quoi de mieux qu’une histoire très aspirationnelle pour le faire ? Le storytelling est donc devenu une marotte des publicitaires ces dernières années. Que cela soit dans l’univers du luxe ou pour un constructeur automobile il suffit de regarder le contenu que nous propose les marques pour avoir une bonne idée de l’ampleur du phénomène, et au final, des attentes des consommateurs. De Levi’s (Go Forth) à Renault (French Touch) en passant par Cartier et sa merveilleuse Odyssée, chaque marque tente à sa manière de nous faire rentrer dans son univers pour nous convaincre qu’elle nous ressemble et faciliter ainsi l’acte d’achat. Certaines réussissent cet exercice avec brio quand certaines se plantent assez fortement alors qu’elles nous avaient habitué à de sublimes histoires comme par exemple Louis Vuitton dans sa dernière campagne : L’invitation Au Voyage.

Louis Vuitton: L’Invitation Au Voyage from Tonic Music on Vimeo.

Nous n’avons plus vraiment à présenter l’univers de marque de Vuitton qui est désormais bien connu de tous : le voyage. En effet, quoi de plus naturel pour un malletier que d’être identifié à un art de vivre comme celui-ci. Notons qu’il s’agit tout de même d’une des seules maisons de luxe qui est assimilée à un loisir pratiqué par le plus grand nombre ce qui en fait évidemment une marque proche du peuple malgré le luxe de ses produits (je ne compte pas dans l’ADN de Vuitton les produits « access » ou petite maroquinerie qui dévalorisent selon moi un peu l’image de la marque bien qu’ils représentent une partie des recettes).

Que veut donc nous raconter Vuitton dans ce film publicitaire réalisé par Inez Lamsweerde et Vinoodh Matadin ? Que doit-on comprendre ? Quel est le sens caché ? Depuis que Cartier a ouvert le bal, les maisons de luxe tentent à tout prix de nous raconter leur histoire et de conquérir notre grand cœur de consommateur potentiel ou déjà acquis à sa cause. Mais là où la célèbre panthère réussit avec succès à nous faire rentrer dans son univers et à vulgariser son langage sans déprécier ses produits ni son image, Vuitton échoue dans un film intello qui manque cruellement d’une chose essentielle : un message.

Arizona Muse dans la Montgolfière Louis Vuitton

Le film est ici statutaire au même titre que L’Odyssée, mais oublie de nous délivrer le plus important : pourquoi Louis Vuitton prend-elle la parole ? Aucun produit n’est vraiment mis en valeur si on omet une malle et un sac qui servent plus d’accessoires et font figure de placement de produits plutôt que de véritable messagers de valeurs. Evidemment, dans L’Odyssée, Cartier ne prenait pas la parole pour mettre en avant principalement ses produits, mais son histoire, son ADN ; elle parvenait tout de même à les inclure dans son récit de manière subtile, incitant les spectateurs à plus de curiosité. N’oublions pas que même si une marque raconte une jolie histoire son but final est de vendre et de faire du chiffre. Un Cartier ne dépense pas 60 millions d’euros sur un film parce que c’est joli et qu’ils ont une queue de budget média (même si c’est un peu le cas) ; la panthère n’est pas là pour enfiler des perles, mais bien pour gagner de l’argent, et Louis Vuitton également. Film statutaire donc, mais quel statut ?

Louis Vuitton Journey Francis Ford Coppola et Sophia

Le film s’appelle  « L’invitation Au Voyage » et n’exprime, à première vue, pas clairement cette sensation de prise de position sur un territoire de marque. Personnellement, j’y ai plus vu une invitation à courir pour sauver ma peau, qu’une invitation à partir en voyage. C’est dommage car c’est ce qu’avait réussi à nous faire vivre la marque depuis 2007 avec son agence Ogilvy (le budget Vuitton étant désormais passé chez BETC) lorsqu’elle s’était associée au regard d’Annie Leibovitz pour la campagne « Journey ». Les voyages sont partout, ils peuvent être initiatiques, militants, ou tout simplement humains. Les valeurs de la marque étaient ici clairement représentées et envoyées un message fort aux consommateurs de monde entier. Curieusement à beaucoup d’autres marques qui s’y étaient essayées, Louis Vuitton avait starifié son produit et son image sans créer de déperdition de caractère. Une réelle prouesse quand on connaît la difficulté de cet exercice et la dangerosité que cela peut-être pour une marque si l’un de ses ambassadeurs commence à faire parler de lui ou d’elle en de mauvais termes ; l’association d’image est alors catastrophique et la relation avec les consommateurs endommagées.

louis vuitton l'invitation au voyage Arizona Muse

Alors quand on voit cette très belle jeune femme (incarnée par le top model Arizona Muse) marcher dans les rues désertes de Paris sur une musique un poil stressante et très peu enchanteresse, on ne peut s’empêcher de se demander après quoi elle court ou plutôt pourquoi tente-t-elle de s’enfuir ? Le danger lorsque l’on utilise une musique aussi connotée que celle du film « 28 Jours Plus Tard » (In the House in a Heartbeat de John Murphy) de Danny Boyle, est d’être d’emblée associé à l’imaginaire qui se prête au film. Ici, il s’agit d’une population humaine qui tente tant bien que mal de survivre face à un virus transformant chacun personne infectée en zombie. Ahem… D’ACCORD. Donc, voici ce que je vois : une femme terriblement seule poursuivit par un homme dans des recoins sombres ; elle protège son sac, dernier vestige de sa vie passée ; elle se cache, mais pas trop ; elle reste accessible, mais chic (le Louvre et l’aile Denon sont vides de leurs habituels visiteurs) ; l’homme l’observe de loin et n’incarne ici aucune histoire d’amour possible (on ne sait jamais, ça aurait pu être le cas) et au contraire, il semble plutôt être là en tant qu’oppresseur, comme s’il souhaitait la retenir de vivre sa vie ; le rythme de la musique fait monter la pression et la sensation de malaise est accentuée par des cadrages serrés où on voit rarement le paysage extérieur, l’attention étant principalement focalisée sur la fuite de la jeune femme ; cette sensation s’atténue lorsqu’elle arrive dans la Cour Carrée du Louvre où l’attend une montgolfière qu’elle emprunte pour s’échapper. C’est la première fois qu’elle court (le plan où elle sautille pour monter sur le trottoir face au jardin des Tuileries à 10s ne compte pas). Elle fuit littéralement vers la délivrance ; sensation une nouvelle fois accentuée par la musique et par le fait qu’elle sourit (c’est d’ailleurs la seule fois où on peut la voir sourire). Les plans s’élargissent laissant voir la magnificence de la Cour Carrée et des toits de Paris. L’homme est dans l’ombre, il regarde la jeune femme s’en aller ; le danger qu’il représente et la libération de la jeune femme de cette emprise malsaine sont symbolisés par la position statique, presque menaçante de l’homme et par les rubans rouges qui volent au-dessus de la cour. Le sourire final de la jeune femme avec la lumière qui envahit l’écran nous fait bien comprendre qu’elle vient d’échapper à un funeste destin et qu’elle prend son avenir en mains, choisissant de voyager et d’être libre.

Louis Vuitton L'Invitation au voyage gros plan sur malle

Ce film de marque ne vend donc aucun produit, mais un état d’esprit. La symbolique de la liberté par le voyage est très forte et s’adresse principalement aux femmes en quête de liberté, diabolisant presque la position de l’homme. Il s’agit d’un positionnement étrange ; car quelle marque souhaiterait associer une partie de ses consommateurs à un personnage aussi sombre et peu tranquillisant, reflétant une facette de l’homme qui effraie toutes les femmes ? Personnellement, je ne me retrouve pas dans cette incarnation d’homme oppresseur, privant de liberté une femme. Plutôt que de me conquérir, Louis Vuitton me donne envie de partir loin et de ne surtout pas venir en boutique pour acheter des produits de peur d’être assimilé à cette image négative de l’homme. Bien sûr, j’extrapole ma réaction pour faire passer le message, mais vous m’avez compris.

Louis Vuitton L'invitation au voyage Montgolfière Louvre

Le film va également à contre-sens de ce que l’on pourrait attendre d’une marque comme Louis Vuitton sur un sujet tel que celui-ci : plutôt que de nous apporter de la légèreté et du rêve venant du voyage, Vuitton choisit de nous mettre mal à l’aise pendant les trois quarts du film pour finir par nous lâcher en l’air, nous invitant nous aussi à nous libérer de nos contraintes. Même si le « message » (RUN FOR YOUR LIFE) reste présent, la manière de faire est à mon sens incroyablement contestable endommageant presque l’image de Vuitton qui pourtant est une marque très positive.

Louis Vuitton l'nvitation au voyage Arizona Muse peinture

Ce film est-il compréhensible ? Malheureusement non. Il est là pour créer un mystère non résolu et comme le dit Léa dans son blog, elle n’a pas compris le film : « Je dois avouer que la première fois que j’ai vu ce spot, je ne l’ai pas compris. Je ne comprenais pas qui étaient les personnages et ce qu’il y avait dans l’enveloppe. C’était donc une pub qui me frustrait énormément. Après m’être un peu plus penchée sur le sujet et en avoir discuté avec des amis, je me rends compte que c’est tout simplement l’effet escompté, et que, comme à chaque fois, je suis bon public. » Un mystère non résolu qui même après réflexion à plusieurs n’est toujours pas compris, n’est à mes yeux pas bon signe. Pour elle ce n’est pas grave, pour moi c’est inquiétant. Une autre blogueuse (Froggista), sur L’Express Styles cette fois, ressent la même chose : « Par contre, je suis un peu frustrée de ne pas connaître le fin mot de l’intrigue. » Dans son article elle note la qualité graphique du film, mais aucunement le message. C’est tout de même particulièrement dommage de ne pas arriver à en ressortir autre chose que « C’est joli dis donc » (c’est la principale chose qui ressort de la campagne dans quasiment tous les articles).

Louis Vuitton l'invitation au voyage Arizona Muse Malle + sac

Je ne dis pas que les films de marque doivent être d’une clarté limpide ; je suis le premier à dire qu’il faut cesser de prendre les consommateurs pour des idiots et qu’il faut les amener à avoir une réflexion sur la marque et son histoire pour en faire des consommateurs éclairés. Le rôle d’une marque est d’éduquer son audience pour en faire une audience plus qualitative et intelligente. Les marques n’ont pas uniquement un rôle de vendeurs de produits et en ce qui concerne le luxe de « réenchanteurs du quotidien », mais également un rôle pédagogique et de transmission de valeurs. Désormais omniprésentes dans la vie de tous les jours, elles doivent nous apporter plus que ce que nous venons chercher initialement. Grâce au brand content notamment, elles peuvent aujourd’hui mettre en œuvre des programmes pour éduquer leurs consommateurs et les transformer de manière subtile, mais réelle en acteurs de la marque. Si l’on tire le procédé jusqu’au bout, un consommateur est beaucoup plus intéressant pour une marque s’il ne fait pas uniquement que la consommer, mais qu’il en est un ambassadeur (terme que l’on aime beaucoup dans le marketing), une sorte de super porte étendard. Nous savons aujourd’hui que la marque ne fait pas seulement qu’envoyer des messages pour que les consommateurs les intègrent et les digèrent ; les consommateurs ont leur avis et n’hésitent pas à le donner créant parfois, de ce fait, des crises. Si la marque a bien fait son travail d’éducation et qu’elle a un jour un problème, ce consommateur intelligent pourra devenir un fier défenseur de ses valeurs car il les incarnera. La marque se sera constituée une VRAIE communauté d’alliés qui pourra monter au créneau quand le besoin s’en fera sentir.

Louis Vuitton possède une réelle notoriété, mais elle gagnerait à redevenir le conteur d’histoire qu’elle a été. Comme le disent très justement Laurent François et Vu Quan Nguyen dans leur excellent article « Pourquoi nous avons besoin d’un Louis Vuitton plus disruptif », Vuitton s’est trompé entre le mainstream et le many streams et gagnerait à regagner en puissance narrative en créant une réelle plateforme de marque (le voyage est un univers non une plateforme) qui suivrait un axe narratif et non plusieurs. J’attends avec impatience le travail de BETC qui annonce pour moi un véritable nouveau souffle pour cette si belle maison.

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